Pas de maladie de Lyme à la Réunion ?

La position de l’ARS pointée du doigt.

Article Z infos 974 du 3-10-2018

Isabelle Couture : « On nous a dit que c’était dans notre tête, on nous a donné des antidépresseurs et orienté vers un psychologue »

Beaucoup se sentent abandonnés, seuls face à leur souffrance. La maladie de Lyme (aussi appelée Borréliose de Lyme) plonge de très nombreux malades dans une situation d’errance médicale, tant les symptômes sont complexes et les frontières de la pathologie encore mal délimitées.

À La Réunion, officiellement, pas de problème. « En l’état actuel des connaissances scientifiques, les tiques du genre Ixodes qui transmettent la maladie ne sont pas présentes (…). Peu d’espèces de tiques ont été identifiées à La Réunion, et parmi elles, aucun vecteur connu de Borrelia burgdorferi, le pathogène responsable de la maladie de Lyme », indique en effet l’ARS OI, soutenant qu’il n’y aurait pas de cas autochtones.

D’autres types de souches ? 

Mais si semer la psychose est inutile, cette position n’est-elle pas trop rassurante ? Si, à en croire le professeur Perronne, vice-président de la Fédération française contre les maladies vectorielles à Tiques. « On ne peut pas être aussi affirmatif, cette attitude n’est pas scientifique »,  reproche l’auteur de l’ouvrage La vérité sur Lyme.

« Il y a très peu d’études. Je ne dis pas que c’est le cas, mais il est possible qu’il y ait à La Réunion d’autres types de souches de la bactérie qui n’ont pas encore été identifiées. Certaines peuvent être responsables de maladies voisines », détaille-t-il, alors que les souches européennes semblent effectivement absentes de notre île.

Des tests « non-adaptés » 

Effectués sur des patients piqués à La Réunion, les tests utilisés en métropole (Elisa et Western Blot) restent ainsi négatifs. Des tests non adaptés, selon le spécialiste, aux cas réunionnais de maladies vectorielles. « Ils ne sont pas fiables car ils ne reconnaissent pas toutes les bactéries. Même en Europe, il existe au moins une dizaine de borrelias qui ne sont pas du tout étudiées. On découvre un monde nouveau et on ne connaissait pas les bons outils », complète le professeur, qui demande aux médecins de ne pas négliger cette piste au moment de poser un diagnostic.

Ainsi, pour les malades, aux douleurs dues à la pathologie s’ajoute souvent le sentiment de ne pas être pris au sérieux. « On nous a dit que c’était dans notre tête, on nous a donné des antidépresseurs et orienté vers une psychologue », confie Isabelle Couture, confrontée, tout comme sa fille, à un véritable calvaire. Avec des symptômes pouvant aller de la simple fatigue à des troubles articulaires ou neurologiques, les mauvais diagnostics pleuvent. « On m’a dit ensuite que j’avais une sclérose en plaque, puis une fibromyalgie », se souvient la professeure en arrêt maladie, visiblement épuisée. La pathologie est d’ailleurs surnommée « la grande imitatrice » par le spécialiste américain Richard Horowitz.

« L’attitude de l’ARS est criminelle »

Si elle a fini par être reconnue comme atteinte de Lyme par l’assurance maladie, Isabelle Couture explique ne devoir son salut qu’à sa perspicacité, elle qui a épluché de nombreux ouvrages sur le sujet. « On nous mène en bateau, on rame pendant des années », déplore de son côté Abel, un Possessionnais n’ayant toujours pas réussi à faire reconnaître la maladie car négatif à l’un des tests. Face à ces insupportables difficultés, Isabelle Couture a entamé les démarches pour constituer une association de malades à La Réunion. « Il y en a trop ici et personne pour nous représenter ».

En attendant, la Saint-Pauloise lance un appel aux Réunionnais. « Il y a une application mobile lancée par l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) : ‘Signalement Tique ‘. C’est gratuit », explique-t-elle, invitant la population à y participer. Une appli développée dans le cadre du projet baptisé « Citique », permettant de signaler les piqûres de tique et d’envoyer des photos. Mais aussi d’envoyer la tique directement aux scientifiques, par courrier, pour étude. De quoi établir une tiquothèque pouvant servir aux chercheurs du monde entier. « C’est moi qui ai dû faire inscrire La Réunion au projet. Et l’ARS ne l’a pas relayé », reproche encore Isabelle Couture. « L’attitude de l’Agence de santé est criminelle. Il y a des gens qui souffrent, certains même qui se suicident ! »

Un courrier signé l’an dernier par la secrétaire régionale adjointe d’EELV, publié sur Zinfos974, formulait la même demande. « Les borrelies, responsables de la maladie dite de Lyme sont partout présentes dans le monde. Chaque continent a ses propres souches. La première souche de borrelie analysée le fut à Madagascar comme pour le varroa », indiquait Danon Lutchmee Odayen, alertant : « Les maladies vectorielles à tiques sont émergentes. La population réunionnaise doit en être informée pour éviter ce qu’on a vécu avec le Chik dès 2004 ». D’autant plus que les tiques prolifèrent de manière exponentielle.

Un appel lancé à la population

Pour le spécialiste de l’INRA Jean-François Cosson, coordinateur du projet CITIQUE, si la contamination à la maladie de Lyme directement sur notre île reste  « improbable » – en l’état des connaissances établies grâce « aux échantillonnages réguliers menées par les équipes scientifiques » – mieux vaut rester prudent : « Il est possible que les tiques Ixodes soient présentes mais soient passées inaperçues jusqu’à aujourd’hui. Il est également possible qu’une Ixodes soit importée dans le futur via les transports de personnes et commerciaux, comme l’ont été d’autres types de tiques, donc une surveillance est importante ».

Mais surtout, « les tiques présentes à La Réunion peuvent transmettre d’autres maladies très semblables à Lyme ». D’où l’intérêt, quoi qu’il en soit, de participer à ce projet. « En utilisant « Signalement tique » chacun d’entre nous peut aider à protéger la santé de tous ! », conclut le scientifique. À vos smartphones ! 

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