5 juin 2018 0 3354 Vues

Un imbroglio surréaliste !

Nouvelle polémique autour de la maladie de Lyme.

Sciences et avenir du 5 juin 2018

Un courrier envoyé par la SPILF ( Société de Pathologie infectieuse de Langue française), co-signé par 11 autres sociétés savantes et le CNR ( Centre national de référence des borrélioses)de Strasbourg conteste le contenu du PNDS;la SPILF tente de ramener le PNDS à la position adoptée en 2006.

EXCLUSIF. Nouvelle polémique autour de la maladie de Lyme

Par Olivier Hertel le 05.06.2018 à 09h53

Alors qu’il est prêt depuis plusieurs semaines, le nouveau protocole de prise en charge de la maladie de Lyme (PNDS) n’a toujours pas été publié par la Haute Autorité de Santé (HAS). En cause, une lettre de contestation envoyée à la HAS par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF), le Centre National de Référence des Borrelia (CNR) et onze sociétés savantes. Une lettre que nous révélons en exclusivité. Décryptage.

IMBROGLIO. C’est un imbroglio surréaliste qui vient encore envenimer les débats sur la maladie de Lyme. Depuis plusieurs semaines, la Haute autorité de santé (HAS) doit rendre public le fameux Protocole National de Diagnostic et de Soins de la maladie de Lyme (PNDS). Ce protocole vise notamment à définir les modalités de diagnostics et de traitement de la maladie. Il a été élaboré pendant plus de 18 mois par la HAS en partenariat avec la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) et en concertation avec les médecins, associations de patients et plusieurs sociétés savantes. Très attendu par les malades, il a été validé par la HAS début avril 2018 et devait être diffusé dans la foulée. Mais de manière inattendue, sa publication a été repoussée à la mi-juin. En cause, un courrier électronique envoyé à la HAS par la SPILF, co-signé par onze autres sociétés savantes et le Centre National de Référence des Borrelia (bactérie responsable de la maladie). Ce courrier que nous publions intégralement, conteste le contenu du PNDS et en particulier la partie concernant le diagnostic de la maladie.
“Nous trouvons que ce texte n’est pas clair, notamment pour les médecins qui sont en première ligne avec les malades. Nous souhaitons que les tests de dépistage Elisa et Western Blot soient bien indiqués. Si la maladie n’est pas confirmée par ces tests, il faut demander une expertise auprès des centres de prise en charge des malades” commente France Roblot, présidente de la SPILF. En d’autres termes, les fameux tests de dépistage (appelée aussi sérologie) doivent rester la référence pour le diagnostic de la maladie. La SPILF tente ainsi de ramener le PNDS à la position qu’elle avait élaborée en 2006 (Consensus de 2006).
Or, ces tests sont justement au coeur d’une des plus importantes polémiques autour de la maladie de Lyme. Leur fiabilité est largement remise en cause dans la littérature scientifique récente, comme nous le signalions déjà ici. Aux Etats-Unis, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) recommande leur utilisation mais plaide pour le développement de nouveaux tests alternatifs. D’ailleurs en mai, un rapport fédéral américain sur les tests et le diagnostic de la maladie de Lyme rappelait encore la faiblesse du dépistage actuel source de faux positifs et faux négatifs.

CONTROVERSE. Face à cette controverse, le PNDS avait justement été lancé pour remplacer le Consensus de 2006. Dans sa version définitive, validée en avril, il prévoyait de fonder en partie le diagnostic sur la clinique du patient, c’est-à-dire sur ses symptômes. Cette situation concerne des malades que le texte du PNDS qualifie par l’acronyme SPPT pour “Symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe” – les experts n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur les termes symptomatologie ou syndrome ! Comme le précise le nouveau texte, ces patients peuvent déjà avoir été traité dans le passé pour la maladie de Lyme avec une cure d’antibiotiques. Le SPPT se caractérise par :
1/ Une piqûre de tique possible
2/ Une triade de symptômes
• douleurs musculo-squelettiques et/ou d’allure neuropathique et/ou céphalées
• une fatigue persistante avec réduction des capacités physiques
• des plaintes cognitives (troubles de la concentration et/ou de l’attention, troubles de la mémoire, lenteur d’idéation)
3/ Avec ou sans antécédent d’érythème migrant (premier signe de la maladie formant un anneau rouge autour de la piqûre) cette manifestation pouvant passer inaperçue ou être oubliée par le patient.

CHRONIQUE. Sans parler explicitement de maladie de Lyme chronique – autre point de discorde entre les malades et une partie de la communauté médicale et scientifique – le texte reconnaît donc que des symptômes évoquant la maladie de Lyme peuvent persister chez des personnes ayant pu être traitées aux antibiotiques. Jusque-là, la prise en charge officielle considérait que si des symptômes persistaient après le traitement antibiotique, cela n’avait rien à voir avec la maladie de Lyme ou alors qu’il s’agissait de séquelles. Les patients qui se plaignaient toujours de leurs maux se retrouvaient très vite en consultations psychiatriques !
Avec la reconnaissance de cette symptomatologie/syndrôme (SPPT), le PNDS laisse la possibilité de traiter le malade avec une cure d’antibiotique de 28 jours, si l’examen différentiel clinique permet d’écarter les autres maladies. Et ce, même si les tests de dépistage (Elisa et Western Blot) sont négatifs. Là encore c’est un changement de taille dans la prise en charge des malades. Les tests jugés non fiables, ne sont plus tout puissants dans le diagnostic.
Dans la lettre envoyée à la HAS, les signataires contestent aussi la dénomination SPPT jugée trop floue et demandent à ce qu’elle soit encore discutée. Ils demandent aussi à poursuivre les réflexions qui ont pourtant déjà duré 18 mois en partenariat étroit avec la SPILF et abouti à un texte validé par la HAS.
D’après nos informations, la HAS aurait accédé à la demande de la SPILF en rajoutant dans le texte, l’indication des deux tests (Elisa et Western Blot), comme tests de référence pour le dépistage. Mais ces tests sont seulement “recommandés”. Une façon de relativiser leur importance s’ils s’avèrent négatifs. Le malade peut alors entrer dans la définition du SPPT, bénéficier d’une prise en charge complète avec notamment un examen clinique très poussé.
Par contre, malgré les contestations de la SPILF, la HAS conserve la définition du SPPT. Pas question de la supprimer ou de la rediscuter.

POURSUITES. Fait étonnant, cette lettre de la SPILF arrive au moment où le PNDS venait d’être validé par tous les acteurs de son élaboration, dont les représentants de la SPILF. Le texte a été effectivement âprement discuté et amendé pour trouver un consensus. Ce revirement a donc de quoi surprendre. Mais il y a encore plus étonnant. Pour avoir plus de poids auprès de la HAS, la SPILF a donc sollicité plusieurs présidents de sociétés savantes pour signer la lettre, parmi lesquels la Société Française d’Immunologie (SFI) présidée par Hans Yssel, directeur de recherche à l’Inserm. Or, cette signature résulte d’une confusion entre le chercheur et France Roblot, la présidente de la SPILF (lire notre interview de Hans Yssel ci-dessous). En effet, la Société française d’immunologie ne soutient pas du tout l’initiative de la SPILF et retire sa signature de la lettre.
La tension extrême qui entoure le PNDS n’est donc pas prête de retomber. Elle s’explique d’une part par le retard pris dans la publication du texte mais aussi par la pression qu’exerce les associations de malades pour obtenir une meilleure prise en charge. Outre, leur grande réactivité sur les réseaux sociaux, elles mènent une action collective en justice visant notamment le Centre National de Référence desSBorrelia dirigé par le Pr Benoît Jaulhac, fervant partisan des tests et opposé à la reconnaissance de la forme chronique de la maladie de Lyme. Or, le PNDS tel qu’il a été rédigé dans sa version finale reconnaît implicitement que les tests ne sont pas suffisamment fiables. S’il sortait en l’état, cela donnerait des arguments supplémentaires aux avocats des malades pour faire reconnaître leur préjudice. Fait aggravant, nous avons pu montrer dans un précédent article, un possible conflit d’intérêt entre les membres du CNR et le laboratoire BioMérieux reposant sur un document publicitaire vantant technologies de test pour le dépistage de la maladie de Lyme de BioMérieux… signé par les membres du CNR Borrelia. Un document sur lequel compte bien s’appuyer les avocats.
Interview Hans Yssel, directeur de recherche à l’Inserm et président de la Société Française d’Immunologie

Sciences et Avenir : Comment la Société Française d’Immunologie (SFI) s’est-elle retrouvée parmi les signataires de la lettre envoyée par la SPILF à la HAS ?

Hans Yssel : En janvier 2018, la HAS a sollicité la SFI pour une relecture du PNDS. Les corrections que nous avons apportées concernent essentiellement la nécessité d’améliorer la qualité du diagnostic notamment parce que les tests ELISA sont peu fiables. Le deuxième point étant une nécessité d’affecter des budgets, sous forme d’appels d’offres, pour permettre aux unités des Instituts de recherche de faire un travail de qualité sur les formes les plus problématiques de la maladie.

Le 3 mai, soit trois semaines après la validation définitive du PNDS, j’ai reçu un mail pressant de France Roblot, la Présidente de la SPILF : « nous souhaitons adresser un courrier à la présidente de la HAS pour demander à ce que la réflexion se poursuive à propos de PNDS sur la maladie de Lyme. Je vous propose de vous associer en tant que signataires. Ce courrier est attendu par la présidente de la HAS. Il faut absolument que je connaisse votre position au plus vite. »

Vous avez donc signé cette lettre ?

J’ai pensé qu’il s’agissait d’une simple confirmation des corrections que j’avais apporté au PNDS, sans réaliser à aucun moment que ce mail était accompagné d’une mouture d’un courrier, et ai donné en tant que Président de la SFI un accord de principe. Courrier que je découvrirai un mois plus tard, et que je ne peux cautionner. Pas plus que les démarches multiples entreprises par la SPILF à titre collectif, et visant au déni de la forme chronique d’une pathologie complexe, dont la composante immune semble importante pour en comprendre sa pathogénèse

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