Refuser d’agir contre la maladie de Lyme n’est pas un choix acceptable

Par Alain Trautmann, chercheur émérite au CNRS, immunologiste à l’Institut Cochin de Paris.

Sciences et avenir  lien : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/ne-pas-agir-contre-la-maladie-de-lyme-n-est-pas-acceptable_129694
26/11/2018

Un groupe de travail du Ministère de la santé américain sur la maladie de Lyme, vient de remettre son rapport au Congrès. Ses conclusions convergent avec les recommandations publiées en France cette année par la Haute autorité de santé (HAS) et contredisent les prises de position de l’Académie de Médecine et une partie de la communauté médicale française dont Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF).

En ce mois de novembre 2018, le Ministère de la Santé des États-Unis (U.S. Department of Health and Human Services) vient de rendre public un rapport très important, de plus de cent pages, sur la maladie de Lyme. Ce rapport va être présenté au Congrès. Il fait aux Parlementaires un ensemble de propositions visant à définir une stratégie nationale pour vaincre la maladie de Lyme. Ce texte a été rédigé sur la base d’un état des lieux exhaustif de la situation présenté six mois plus tôt par un groupe de travail auquel participaient des représentants d’associations de patients, des médecins et des chercheurs. Le groupe de travail a fait une analyse approfondie des connaissances actuelles sur cette maladie, en se référant à des centaines de publications scientifiques. Soulignons ici, deux conclusions majeures du rapport au Congrès.

La première est la reconnaissance de la gravité et de l’importance en matière de santé publique, de la forme chronique de la maladie de Lyme. Il y a eu des débats dans le groupe de travail, sur le nom à donner à la forme chronique de la pathologie. Ils hésitaient entre “chronic Lyme disease,” “late-stage Lyme disease,” ou “post-treatment Lyme disease syndrome » (PTLDS). Mais le groupe est unanime pour reconnaître l’existence d’un tableau clinique grave et persistant chez des patients infectés par Borrelia, malgré les traitements antibiotiques. Le rapport va beaucoup plus loin : il critique durement la position de médecins qui, en niant l’importance de cette forme chronique, maltraitent les malades.

300.000 nouveaux cas par an

 

Le deuxième point majeur de ce rapport s’adresse aux responsables politiques. La situation est grave. Il y a aux Etats-Unis plus de 300.000 nouveaux cas par an de personnes infectées par des piqûres de tique. Parmi ces personnes, une proportion difficile à évaluer, mais qui se compte en milliers de cas, développera la pathologie chronique. Le rapport américain estime que le coût direct, médical, qui en résulte, est de l’ordre de 1,3 milliard de dollars par an. Quant au coût économique et social (perte d’emploi, invalidité, mobilisation de proches), il se monterait à 50 à 100 milliards de dollars par an. Dans ces conditions, dit le rapport, il importe de mettre en place un plan stratégique.

Des recherches sur la maladie de Lyme sont déjà financées aux Etats-Unis. Et, de fait, il y dans ce pays des publications de haut niveau sur Lyme. Mais le rapport présenté au Congrès indique que ce financement est très insuffisant, qu’il faut absolument, et de façon urgente, l’amplifier considérablement selon différents axes précis qu’il n’est pas possible de détailler ici, mais que le lecteur peut retrouver avec plus d’éléments sur le site de la FFMVT (Fédération Française contre les Maladies Vectorielles à Tiques).

En France, début 2018, parallèlement au groupe de travail américain, un groupe de patients, médecins et chercheurs travaillait à l’élaboration d’un rapport sur la maladie de Lyme, à partir des mêmes publications scientifiques. Ce rapport a été transmis à la Haute Autorité de Santé (HAS), qui a publié un texte de recommandations très important en juin 2018. La convergence entre les conclusions du document de la HAS et celles du rapport américain est impressionnante.

Un référentiel pour le diagnostic

Le texte de la HAS est fondamental car il doit servir de référentiel pour les médecins généralistes, lorsqu’ils sont consultés par des patients ayant un soupçon de maladie de Lyme, et qu’ils hésitent sur la conduite à tenir. Comme le rapport américain, la HAS souligne l’importance de l’examen clinique, car les tests sérologiques (mesure des anticorps anti-Borrelia dans le sang des patients) actuels posent des problèmes sérieux, par leur sensibilité trop faible, qui aboutit à de nombreux faux-négatifs. Il y a en outre une absence totale d’évaluation et de standardisation de ces tests, ce qui est peu acceptable en termes de santé publique. Enfin, on lit dans ce rapport qu’un traitement antibiotique, s’il est très efficace lorsqu’il est donné juste après la piqûre de tique, n’induit le plus souvent qu’une rémission partielle et transitoire des formes chroniques de la maladie de Lyme. D’un point de vue médical, le rapport américain souligne aussi qu’il est essentiel de développer la recherche en immunologie, ainsi qu’en neurologie, tant sur le plan in vitro, que sur celui de la mise au point de modèles d’étude animaux et bien sûr chez le patient. Un autre axe concerne l’émergence de pathologies très récentes véhiculées par les tiques et encore très peu connues, dues à des virus, ou bien encore cette curieuse allergie à la viande développée suite à une piqure par un arthropode voisin de la tique. Enfin, l’accent est mis sur les biais méthodologiques et le faible nombre d’essais cliniques réalisés jusqu’à présent, et incite les services de soins américains à rapidement avancer dans ce sens.

« Il n’y a pas un seul programme de recherche sur le diagnostic ou le traitement du Lyme en France »

La HAS ne va pas jusqu’à critiquer (comme le fait le document américain) les médecins hostiles à l’idée de forme chronique de la maladie de Lyme. Le problème est pourtant tout aussi grave en France !  La conclusion du document de la HAS s’adresse aux pouvoirs publics, elle souligne qu’il y a urgence à décider de financer la recherche sur Lyme, dans le cadre d’un plan stratégique. Soulignons qu’il était possible d’agir immédiatement : il suffisait de demander à l’ANR (Agence Nationale de la Recherche), et à l’INSERM, d’afficher que ce type de recherche ferait désormais partie des domaines susceptibles d’être financés. Ce qui n’est actuellement pas le cas. Il n’y a pas un seul programme de recherche sur le diagnostic ou le traitement du Lyme en France. Pas un seul ! Et le mot Lyme n’apparaît toujours pas sur le site de l’ANR. Autrement dit, le gouvernement n’a rien décidé sur ce sujet, ou a décidé de ne rien faire, ce qui aboutit au même résultat.

Son inaction pourrait bien avoir un rapport avec la campagne de dénigrement dont a fait l’objet la position de la HAS. Qui ose dénigrer la position de la Haute Autorité de Santé ? Des « autorités » médicales (Académie de Médecinel’Ordre des Médecins de l’Ain) ou scientifiques, comme la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF)[5], laquelle avait pourtant été partie prenante au groupe de travail qui avait remis son rapport à la HAS. Que disent ces dénigreurs ? Que le rapport de la HAS est biaisé, qu’il a trop pris en compte les positions des malades, considérés comme mal informés, voire manipulés (notons que le rapport américain souligne à plusieurs reprises l’importance, y compris pour les scientifiques, de prendre en compte la parole et les observations des malades). Alors que, selon l’Académie de Médecine et la SPILF, les tests diagnostiques seraient bons, les traitements antibiotiques quasiment toujours efficaces, la maladie de Lyme chronique la plupart du temps imaginaire, relevant en réalité souvent de la psychiatrie. Ce dénigrement est allé si loin que la HAS a dû rappeler à l’ordre le Conseil de l’Ordre des Médecins de l’Ain qui avait demandé aux généralistes du département de ne pas tenir compte des recommandations de la HAS sur Lyme.

Un coût de 9 à 18 milliards pour cette maladie

Les « autorités médicales » et autres « experts scientifique unanimes » commettent une faute professionnelle et éthique grave. D’abord, en contribuant par cette attitude, à l’errance thérapeutique des patients. Ensuite, en suggérant implicitement, puisque ni les diagnostics ni les traitement ne posent de problème sérieux, l’inutilité d’un effort national sur ces questions. La prévalence de la maladie de Lyme est comparable en France et aux Etats-Unis : plus de 50.000 nouveaux cas par an en France, et plus de 300.000 nouveaux cas aux Etats-Unis, pour une population environ 5 fois plus importante. Si le coût économique et social de la maladie de Lyme est estimé à 50 à 100 milliards de dollars aux Etats-Unis, cela reviendrait, pour la France à un coût global de 9 à 18 milliards €. Dans ces conditions, n’est-il pas absurde de refuser de consacrer quelques millions à la recherche, dans notre pays, pour la faire reculer ?

Les personnes qui souffrent aujourd’hui de Lyme chronique ne sauraient attendre. Et donc, sans attendre qu’un financement public pour la recherche soit décidé, la FFMVT vient de créer un fonds de financement de la recherche sur les maladies vectorielle à tique, appelé RECHERCHE BIOTIQUE, basé sur le recueil de dons. Elle pourra ainsi financer non seulement les recherches sur le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme, mais aussi sur d’autres pathologies transmises par les tiques, comme la méningo-encéphalite à tiques, pathologie rare mais mortelle, et qui est en augmentation dans la partie Est de l’Europe. Les maladies vectorielles à tique sont en pleine augmentation. Elles ne sont pas une fatalité. Elles font partie des choses sur lesquelles on peut agir. Refuser d’agir n’est pas un choix acceptable.

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